« Et si on passait à un sujet un peu plus joyeux ? »
Récemment je dînais avec des amies que j’ai rencontrées il n’y a pas longtemps. Elles ne connaissaient pas mon histoire.
La question m’avait été posée : « Après Iris, comptes-tu faire un 2e enfant ? » Je réponds sans me poser de question : » En fait, ce serait un 3e ! Et non je n’en ferai plus. » Elle enchaîne alors : « C’est vrai, j’ai vu que le 15 octobre était une journée spéciale pour toi, car tu as partagé des choses sur ton Facebook. Tu as perdu un enfant ? » Nous étions là toutes accoudées à table dans un restaurant, à déguster un risotto à la bisque de crabe- n’ayant pas le goût du crabe. Là plutôt que de me tendre la fourchette, elle m’a tendu la perche. Je ne pouvais que l’attraper pour lui raconter toute mon histoire. Nous nous connaissons peu, et pourtant je n’arrive jamais à la dire à moitié. En moi, je ressens toujours cette pulsion d’évoquer ce qui m’est arrivé, comment Eden a eu un impact important dans ma vie. Comment depuis cette annonce atroce de son cœur arrêté jusqu’à aujourd’hui, j’étais passée par toutes les étapes. Des étapes tristes jusqu’aux étapes joyeuses.
Bien sûr, je me suis attardée sur la partie triste, bien sûr des larmes sont montées dans mes yeux sans jamais qu’elles ne coulent. Je n’allais pas sombrer ici, mon riz était bien assez noir dans mon assiette, je n’allais pas en broyer. De plus, mes amies n’ont pas d’enfant, peut-être en veulent-elles ? Peut-être pas. Peut-être ont-elles vécues des épreuves elles aussi ? Qu’en sais-je. Je devais contrôler mon histoire, de peur de susciter trop d’émotion chez elles.
Une chose est sûre, cette histoire qu’elles m’ont demandée de partager est la mienne. Le déballage de ma vie est arrivé après une question pleine de curiosité sur mon avenir familial. Pourquoi souhaitons-nous toujours savoir si celles qui ont réussi à enfanter un jour, recommenceront ? Parce que c’est joyeux, pardi ! C’est un beau projet de vie de faire des enfants. C’est un joyeux projet de voir grandir le fruit de sa chair et de son sang. C’est un beau projet lorsqu’on est prêt à affronter tout ce que cela engendre.
Mais c’est un triste projet si tout capote. C’est un triste projet si tu ne fais qu’angoisser sur cet avenir. Ce serait un triste projet d’embarquer notre fille dans cette probabilité. Rien que d’y songer c’est non. Nous sommes dans un équilibre entre le triste & le joyeux. Le joyeux ayant pris l’avantage. Si la tristesse prenait le pas, le poids déséquilibrerait la balance. C’est trop risqué. Ni mon mari, ni moi n’aimons les risques. Plutôt que tenter, gardons cet équilibre. Si le désir d’enfant était supérieur au risque, nous l’aurions pris. Mais pour nous, ce n’était pas le cas.
Iris, notre fille, est le fruit de cette joie qui a balayé cette tristesse. Pourtant avant son arrivée, cet équilibre était fragile. Heureusement, sa vie a insufflé un nouvel élan. On savait qu’elle serait là, grâce à elle, nous sommes encore là. Mais tout cela je n’ai pas eu le temps de l’évoquer car mes amies, en ayant eu la partie sombre de mon histoire, ont terminé la conversation par : « Et si on passait à un sujet plus joyeux ? ». Je n’ai pas réagi sur le moment, j’aurais dû, car en réfléchissant, pendant que je rentrais chez moi, je n’ai pas pu m’attarder sur l’histoire joyeuse. Celle qui raconte comment réussir à affronter une des épreuves les plus difficiles au monde. Cette joie que cela procure lorsqu’enfin on a atteint cette résilience, celle dont tout le monde parle. Celle qui nous amène à prendre les choix qui nous appartiennent. Celle qui nous permet de raconter notre histoire tout entière. Celle qui nous fait vibrer entre la joie et la tristesse. Celle qui nous lie.
L’histoire d’une vie.